Tirés du livre Contes du Portugal, illustrés par Philippe Dumas, édition Chandeigne
Guadiana, Tejo et Douro
Il était une fois trois frères qui s’appelaient et s’appellent toujours vu qu’ils sont les trois plus importants fleuves du Portugal : Tejo, Douro et Guadiana.
Un soir, avant de s’endormir, ils convinrent que, chacun se mettant en route à son réveil, celui qui le premier atteindrait la mer serait déclaré vainqueur.
Le Guadiana fut le premier à se réveiller. Il se frotta les yeux, sourit en voyant que ses frères dormaient à poings fermés et partit sans bruit.
Après avoir cheminé d’un pas nonchalant sur les terres d’Espagne, il pénétra au Portugal, creusa son lit dans une vaste plaine faiblement ondulée. Ses eaux, qui coulaient entre des berges avenantes, baignèrent des villages d’une blancheur éclatante et, grâce au compagnonnage de quelques affluents, devinrent navigables en amont de la pittoresque bourgade de Mértola. Puis, longeant les reliefs étranges de l’Algarve, il rejoignit le rivage hospitalier de l’Océan à Vila Real de Santo António.
Le Tejo fut le deuxième à se réveiller. Fâché d’avoir été devancé, il partit en tout hâte, à l’aveuglette, et c’est pourquoi ses rives sont peu sûres. Pendant sa course à travers l’Espagne, il reçut d’importants renforts, si bien qu’en arrivant à Vila Velha de Ródão, il était déjà navigable. Il poursuivit son voyage jusqu’aux pieds de Lisbonne et, quoique recru de fatigue, se traîna jusqu’à la mer.
Le Douro fut le dernier à se réveiller. Il regarda à son entour et en vit pas ses frères. Transporté de fureur, il s’élança au travers des plateaux froids et secs de l’Espagne ; il s’engouffra dans d’étroits défilés, se précipita dans d’étroites gorges profondes ; il culbuta les obstacles qui prétendaient contenir son déferlement sauvage. Ecumant, bouillonnant, grossi des affluents qu’il avait entraînés dans son sillage, il dépassa Porto et, sans reprendre haleine, se rua vers Foz, d’où il se jeta dans la mer.
Trop tard ! Ses frères avaient déjà mêlé leurs eaux à celles de l’Océan. Le Douro conçut un tel dépit de sa défaite que jamais depuis lors, on ne le vit d’humeur enjouée. Aujourd’hui encore, son eau trouble et ses bords pierreux témoignent de son caractère abrupt.
Et qui du Guadiana ou du Tejo atteignit en premier la mer ? Cela est dit dans un autre conte.